https://www.franceloisirs.com/romans/immortelles-fl10299542.html
Dès septembre en librairie.
ANNA
Les brides lâchent. Celles de mon corps, de la cicatrice, mais aussi celles de mon esprit.
Je sens tout à coup que je suis capable d’agir. Que mon corps, ce carcan des mois précédent, peut ressentir autre chose que de la souffrance, de la fatigue. Il s’ébroue, semble se déchirer, sortir de sa chrysalide.
Je suis heureuse que Soren m’ait amenée à ce cours d’escrime un peu particulier. J’ai fait la connaissance d’autres femmes, d’autres amazones. Même si nous savons que nous ne sommes pas les seules à qui cela arrive, il est bon de le percevoir physiquement. Le médecin du sport qui encadre l’activité est une femme formidable. Dominique, qui dirige l’association « RIPOSTE », a développé un programme pour travailler la posture grâce aux gestes de l’escrime, un sport de combat qui suppose de répondre à une attaque par une parade, suivie d’une riposte. Une métaphore par rapport à ce qui nous est arrivé à toutes.
À chaque assaut, mon corps frémit, mes jambes se dynamisent, mon bras me brûle, mon être est au bord de l’explosion, mais quel bonheur ! J’ai le sentiment d’être de nouveau en vie, je peux enfin envisager mon corps comme autre chose que l’hôte du mal, comme un cilice.
Debout, au bord d’une piste, récupérant d’un assaut, observant les autres, je souffle, essuie une goutte de sueur. J’ai de la chance par rapport à certaines. Mon sein est moche mais il est encore là. Relativiser permet aussi d’avancer, de moins regarder son nombril. J’ai lu un article sur les tatouages de cicatrices et j’ai bien envie d’essayer, reprendre la main, aller au bout des choses, renaître de mes cendres. J’irai voir Camille, le nouveau béguin de Gaspard.
Soren est là, pas trop loin de moi, mais contrairement à nos rendez-vous informels, je ne l’ai pas que pour moi, comme s’il maintenait volontairement une distance entre nous. Ne pas me faire croire au début d’une histoire, me signifier que cette sortie reste dans le cadre du médical, du soin. Je marche le long des pistes,Dominique me sourit, prend ma main.
— Ça vous plaît?
— Beaucoup, je me redécouvre.
— C’est le but. Voir que l’on est toujours capable de faire les choses ! Vous êtes venue avec Soren ?
— Oui, c’est lui qui m’a fait découvrir votre association.
— Vous le connaissez depuis longtemps ?
— Un an, le temps du traitement de chimiothérapie. J’avais l’habitude de passer après l’injection dans le service de pédiatrie dont il s’occupe. Nous prenions le café ensemble et discutions. C’étaient des petites bulles d’oxygène dans l’apnée de cette période.
— Il faut continuer.
— À quoi ?
— À prendre de l’oxygène.
Je regarde Soren, donnant des conseils à une jeune femme. Sans sa blouse blanche, je le vois vraiment comme un homme, avec toutes les possibilités que cela offre.
— Il n’a peut-être pas envie de rapporter du travail à la maison ?
— Vous n’êtes plus dans le cadre de son travail.
— Vous avez raison, mais je crois que j’ai encore besoin de temps.
Je prends mon sac, remets ma veste. Soren, me voyant sur le départ,s’approche. — Ça vous a plu ?
— Beaucoup. Merci de m’avoir fait découvrir cette association.